La fin de l'année scolaire avait été morose: Laure et Mariane avaient préféré quitter le quatuor avant les vacances, Bercé traversait une nouvelle tourmente et l'horizon était plutôt bouché...
Pourtant, à la rentrée, le quatuor s'est recomposé avec Yvane Girard à l'alto et Sarah Bonville au second violon.
J'ai passé l'été à écouter du quatuor à cordes. Mes nombreux kilomètres estivaux défilaient au rythme des deux quatuors de Borodine, du treizième de Miaskovsky que je ne connaissais pas, du concertino pour quatuor à cordes de Stravinsky, des quatuors de Haydn... Je me suis mise à noter alors tout ce qui me passait par la tête.
J'avais été déçue par le 2e de Schumann -les envolées me semblaient retomber toujours et se noyer, et j'avais trouvé que le dernier mouvement sacrifiait à cette obsession insupportable de Schumann pour le rythme pointé.
J'ai été immédiatement séduite par le 2e de Borodine, dont je connaissais tous les thèmes si généreux et lyriques. Impossible de ne pas désirer offrir cela à sylvestre, mon violon... Le premier m'a semblé cependant plus équilibré dans l'écriture, plus riche, plus construit, plus classique en somme, mais son premier mouvement est terriblement long: 13mn...
Le petit concertino de Stravinsky m'a enchantée. Cela semble néanmoins très difficile pour l'ensemble en général, et pour le 1er violon en particulier...
Enfin, j'ai considéré que le Miaskovsky n'était pas à notre portée - pas encore?- mais quelle bonne surprise a été pour moi cette musique de 1959. Pauvre Miaskovsky, si prolixe et pourtant évincé post mortem et malgré eux par les monstres adoubés: Chostakovitch, Stravinsky et Prokofiev, ses contemporains.
Bien sûr, je n'écoutais pas toutes ces oeuvres magnifiques sans un pincement au coeur à la pensée de notre séparation...
Enfin, à la rentrée, Sarah ayant répondu favorablement à mon invitation, nous avons décidé d'entamer le travail du 2e de Borodine, et de choisir ensemble un Mozart.
Nous nous sommes vues un lundi matin. La veille, j'avais eu la malencontreuse envie de faucher du foin à la faucille et m'était entaillé profondément l'index de la main gauche. À quelque-chose malheur est bon, cette nouvelle rencontre ne pourra pas être comparée à la première du quatuor, pour les "7 paroles..." de Haydn, tant les conditions auront été éloignées! Nous avons pu régler le premier mouvement du Borodine et nous avons choisi le K421 de Mozart.
En revenant de cours, tout à l'heure, j'ai glissé avec appréhension dans mon autoradio le CD du quatuor de Borodine (par le très ancien "Quatuor Borodine"!) que j'avais écouté pendant les vacances. Je pouvais appréhender! Après l'avoir tant écouté, comment ai-je pu m'éloigner à ce point de cette interprétation dans les choix que nous avons commencé de faire à la répétition? Pourtant, nous avons vraiment essayé de "respecter" le texte, comme on dit... Alors...
Bien sûr, les tempi sont terriblement fluctuants -quelle science du phrasé, des masses en mouvements- et bien sûr il se dégage une énergie prodigieuse. Mais où sont passées les nuances piano? Nous sommes restées un bon moment sur un coup d'archet auquel je tenais car il me permettait d'arriver piano à la mesure 57 mais déplaisait à mes comparses car il semblait gauche et "à l'envers". Je leur soutenais que tout ce passage était piano et que les accents et sforzandi ne devaient pas transformer cette nuance. Arrivée à l'écoute de ce passage dans le disque, j'ai été abasourdie... tout mon échafaudage est balayé! Pourtant j'aimerais bien essayer de tenir ce que nous avons commencé...
Mesure 86, notée "animato", j'ai aussi soutenu que les notes ne devaient pas être "piquées" car il n'y a pas de point au dessus, qu'on pouvait faire les accents notés en gardant de la longueur d'archet. Patatras! Les "Borodine" ne se sont pas embarrassés de ces considérations! Et ce passage est sauvagement gai et dansant dans leur interprétation!
Il y a une chose que j'aimerais leur emprunter, c'est cet effet "son d'accordéon" qu'ils obtiennent sans vibrato dans certains accompagnement en accords. Je trouve cela extraordinairement russe et folklorique.
Tout cela me donne terriblement envie de nous y remettre... je "baigne" mon index d'huile essentielle de palmarosa aux vertus cicatrisantes en récitant des mantras et des ave maria (abondance de biens ne nuit pas!) pour pouvoir enfin lui ôter son handicapant sparadrap qui l'empêche de plier! Si demain après-midi je ne peux pas travailler... je passerai aux te deum et aux sacrifices indiens!