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10 mai 2009 7 10 /05 /mai /2009 11:18
Quatuor à cordes n°1 "De ma Vie " de Biedrich SMETANA.

ALLEGRO VIVO APPASSIONATO; Un grand accord -tellement difficile à jouer "beau"...- comme une déchirure sur la vie, un rideau qui souvre brutalement sur la lumière, une urgente aspiration d'air au sortire de l'eau... Un réveil paniqué. Puis le fluide écoulement des violons glissant sur le mi grave et bourdonnant du violoncelle. Calme matin sur le Danube, rien ne filtre de ce que sera la journée. Soudain, comme un retour en écho du premier cri, un violent appel de l'alto. On dit le "destin" dans tous les livres et articles bien informés... J'entends - le mot est d'importance - le déchirant appel d'un malheureux qui croit sortir d'un cauchemar en se réveillant en sursaut, et découvre qu'il est réellement, subitement et définitivement atteint de surdité.

        Il est compositeur...

L'appel est répété, de plus en plus urgent, puis l'homme se débat, il s'agit, se cogne en tous sens dans une vertigineuse remontée de gammes en triolets hallucinés, tandisque le Danube, devenu étranger, continue de couler et de ronronner doucement.

Bientôt, l'homme n'a plus conscience de son entourage, il est tout entier dans ce nouveau monde dont les sons ne dépendent plus que de son imaginaire.

Nous sommes précipités dans ce monde et sa vie va défiler devant nos yeux tournés vers l'intérieur, vers le spectacle prodigieusement peint dans nos oreilles par les sons d'un sourd...

Questionnement, émotions, portés par un coeur qui bat trop fort -violoncelle accompagnant les entrelacs de thèmes des violons- par instants traversés par d'inquiétantes réminiscences de son appel paniqué, par de déchirants hoquets d'homme qui pleure.

Mais il était un homme heureux, et du début à la fin du quatuor, il va s'évertuer à exprimer son bonheur, sa joie de vivre, sa gaieté, sa tendresse, sans cesse mis en péril par les nombreux drames qui ont jalonné sa vie. Cet homme a perdu sa femme, sa fille, comme Schubert, il est atteint de syphilis... et comme Beethoven, il est sourd. Prométhée du désir de vivre, il va lutter jusqu'au dernier instant du quatuor.

À la fin du premier mouvement, on pourrait croire qu'il s'est apaisé, rendormi. Les trois mouvement suivants sont comme des scènes cinématographiques de sa vie.

POLKA.
La danse. Jeune homme de son temps, Smetana était un danseur acharné. Son métier l'amenait à écrire et à jouer sans cesse pour les bals et sa notoriété en faisait un homme suffisamment riche pour profiter aussi de l'autre côté de la salle.

Polka, course endiablée des danseurs en meute joyeuse, les uns vers les autres, mains dans les mains, cadence sautillante de pas résonnant sur les parquets jusqu'à couvrir la musique. Polka, mélange des genres, danse de salon et de café, galopades organisées par un mystérieux et faraud postillon encore joué par l'alto, puis repris au centre du quatuor par son voisin, le second violon, tandisque le premier violons semble hoqueter de rire ou pris de boisson.
Au milieu du mouvement, un temps d'apaisement. Les danseurs s'écroulent, la poitrine sifflante, alors que les musiciens impavides (alto et violoncelle) continuent le petit bruit de fond, juste des accords qui tournent sur eux-même, battus par le rythme lancinant d'une probable contrebasse à tout jamais infatigable. C'est l'heure de de lancer le regard de braise sous le cil charbonneux, les mots irrestibles s'échappant comme un souffle d'une moustache adorable... Le répit ne dure pas; à peine l'oeillade ayant produit son effet, on retourne à la danse! Mademoiselle, de nouveau hors d'haleine, réécouterait bien la jolie moustache, mais les jeunes hommes sont venus pour danser, danser toujours plus vite, jusqu'à la fin de la fête qui s'éteint dans un hystérique éclat de rire des violons.

LARGO SOSTENUTO. La jeune fille est tombée sous le charme de la jolie moustache; le jeune homme, à présent vieux et malade se souvient de cet immense amour. Entrelacs de gestes et de pensées, allers-retours frôlant l'extase, en quête perpetuelle de l'idéale fusion des âmes et des corps. Les quatre instruments se répondent et s'entremêlent tour à tour dans l'expression de cette conversation tendre entre un vieil homme perdu dans le silence et le fantôme bienveillant de son amour.






VIVACE. La vie passe si vite, elle est si passionnante, si exigente, semble dire le dernier mouvement; il y a trop de partages heureux, trop de choses à faire pour se poser la question de savoir laquelle est la plus urgente: deux motifs musicaux semblent faire une course dans ce vivace. Celui qui introduit le mouvement, à la fois agité et statique, sorte de danse de derviche en triolets est vite interrompu par des séries quartes en doubles croches, envols successifs des quatre musiciens, comme des battements d'ailes vrombissants d'oiseaux migrateurs toujours en quête d'ailleurs.  Les instruments se poursuivent en s'élevant jusqu'aux cîmes d'où ils replongent afin de reprendre leur danse de derviche, les triolets s'élevant maintenant par de petits palliers, jusqu'au véritable thème, très gai, très frais, qui passera joliement entre le premier et le second violon, sur les bariolages virtuoses de l'alto. Retour aux poursuites, retour aux derviches, retour au thème, toubillon d'énergie, brutalement abattue en vol par le claquement violent comme celui d'un coup de feu, suivi de près par le déchirant sifflement qui vrilla l'oreille de Smetana avant sa surdité -une harmonique de mi jouée fortissimo par le 1er violon. Noter le grésillement grave du tremollo qui précède l'harmonique, comme l'oxymore d'un assourdissant et menaçant silence.

Le premier violon reprend l'appel du premier mouvement, qui s'éteint dans un sanglot long et desespéré. La fin du quatuor est une série de revoltes etouffées, rangées dans une acceptation qui essaie d'être sage.
Le néant est au bout du voyage.
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commentaires

L
Un plaisir de lire votre article :)
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